mardi 30 août 2016

La tour de babel: mieux vaut en rire! (suite N° 4) L'arabe et moi

La tour de Babel: mieux vaut en rire (Suite N°4)

L'Arabe et moi

La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien

Préambule

Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe et le Polonais, je poursuis par l'Arabe. L'hébreu suivra.



L’arabe et moi (1)

Je suis un lecteur attentif du Coran, livre plein de poésie, de sens pratique et de tolérance, n’en déplaise aussi bien à ses détracteurs qu’à ceux de ses laudateurs qui en font un usage outrancier voire criminel pour assurer leur pouvoir temporel plutôt que la gloire de Dieu.
Je sais trop bien ce qu’ont coutume de répondre les extrémistes: Dieu a dicté sa parole en arabe, les traductions sont faussées par Satan! Alors, le projet d’apprendre l’arabe m’a taraudé pendant des années: pouvoir lire le Coran en arabe et river leur clou à des fanatiques ou à des imams ignares et bornés était une perspective réjouissante. Je mesurais mal l’ampleur de la tâche: l’idée était là, latente, elle attendait un déclic…
Il est venu au Maroc, lors de deux voyages à Marrakech, dans les années 80. Merveilleuse Marrakech, inoubliable à plus d’un titre, classée dans les premiers rangs dans ma mémoire du cœur.

La Koutoubia

Décembre 1981: je suis en séminaire à Casablanca. Je m’échappe une journée à Marrakech, bien emmitouflé car il ne fait pas chaud et en outre, depuis mon enfance, j’ai vu au mur de la chambre de mon grand-père une image de Marrakech sur fond d’Atlas enneigé: j’en garde la certitude d’aller dans une ville de montagne très froide.

Je prends un autocar bondé, à trois personnes par banquette de deux, ce qui encourage bien les conversations. Mon voisin est un commissaire de police retraité qui retourne à Marrakech où il a exercé son métier. Il me vante la ville, les souks, la Koutoubia, la place Jamaa-El-Fna. Il me dit combien cette place a facilité son travail: c’est le rendez-vous des jeunes, il y a toujours quelque chose à voir, on ne s’ennuie pas, c’est un antidote souverain contre la délinquance. «Fermez la place et il feront des coups pendables!» affirme t’il.

Justement la voici, cette grande place grouillante de monde, c’est le terminus du car, nous y arrivons vers midi. Le soleil est haut dans le ciel et je suis la risée bienveillante de la foule et en particulier des gosses avec mon manteau, mon écharpe, mon pull, mon chapeau et mes grosses godasses d’Européen.


Avant d’aller visiter le souk et la Place, j’entre dans un grand café et demande au garçon si je peux lui confier mes oripeaux ridicules, ce qu’il accepte avec le sourire. Et je pars les bras ballants… Pâtisseries orientales, brochettes, écrivains publics, charmeurs de serpents, fiacres, c’est le spectacle permanent. On trouve de tout, Place Jamaa-El-Fna, on y trouve même des dentiers d’occasion!

Je suis étourdi de bruit, de couleurs, de plaisir. Je fais une pause. Je vais retrouver mon garçon de café. Vu le service de vestiaire rendu, je me crois obligé, en bon Normand qui ne veut pas «être en reste», de déjeuner chez lui mais l’établissement ne fait pas restaurant. Je suis dépité. «Qu’à cela ne tienne, dit-il, ma mère a préparé un poulet au citron que je m’apprête à partager avec les collègues, quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre». J’accepte sans me faire prier et partage dans l’arrière-cuisine et dans les rires un poulet divin. Gloire à la maman! Je repartirai pour Casa le soir, subjugué. Trop à voir pour mes fragiles yeux bleus: il faut que j’y revienne avec Pascale, ma femme, mes yeux de secours.

Je le ferai quelques années plus tard. Nous retrouverons mon ami, le garçon de café. Il nous sera à nouveau interdit de payer nos consommations. Tout au plus, acceptera-t’il que mon artiste d’épouse fasse son portrait au crayon et le lui offre. Et moi, mon cadeau sera d’aller sur la Place prendre ma première leçon d’arabe…

J’avise un écrivain public, un vieil Hadj entouré de quelques jeunes étudiants. Il y a un petit banc de bois très bas qui est libre. Je prends place et, comme entrée en matière, je lui récite tout ce que je sais, à savoir les quatre premières lettres de l’alphabet arabe: alif, ba, ta, tha. Et puis je fais du menton un geste interrogateur, comme pour dire: «Et la suite?».

Alors, la leçon commence. La foule se presse pour voir cette curiosité: le roumi analphabète qui peine à lire et à écrire. Ma gaucherie et ma bonne volonté m’attirent des sympathies: un cercle se forme autour de nous, il y aura bientôt plus de monde que chez le charmeur de serpents ou le marchand de lokoum…A mon tour d’écrire l’alphabet entier. Je m’applique, la photo prise par Pascale en témoigne:


Le résultat, je l’ai gardé dans mes archives. Voici ma première page d’arabe:

Je suis allé la montrer à notre garçon de café, trop heureux d’avoir contribué à cette conquête d’un «infidèle». Mais pour pouvoir lire le Coran, la route est encore longue…


L’arabe et moi (2)


La pente est raide et la porte est étroite pour réaliser mon objectif de lire le Coran en arabe. Ni l’écrivain public de la place Jamaa-el-Fna, ni la méthode Assimil n’y suffiront. Je m’inscris donc au Centre de Langues du BIT pour l’année scolaire 1986/87. Quatre élèves seulement, ce sont presque des cours particuliers. 

Le professeur, Monsieur Sayed Amin, est Egyptien, issu d’une famille de bédouins: outre sa gentillesse et sa patience, je retiens de lui son amour infini des chameaux (qui sont généralement des dromadaires, mais c’est ainsi, partout en Afrique, on dit en français: «chameaux» quel que soit le nombre de bosses). Pas un cours sans une belle histoire de chameau! Le chameau, le saviez vous, serait monogame et très fidèle.

Le grand amour chez les camélidés

Monsieur Sayed Amin affirme que, lorsque le chameau perd son épouse, il pleure, se roule par terre, se tord de douleur et refuse de manger. Il faut parfois l’égorger pour abréger ses souffrances. Est-ce vrai? Peu importe: l’histoire est belle, je veux y croire

On ne s’étonnera pas que vingt ans plus tard, le temps ayant emporté l’essentiel de mon petit bagage de vocabulaire, un mot soit resté bien ancré dans ma mémoire: الجمال al jamalou, le chameau; jamalon’, un chameau; jamaliii, mon chameau. Les bédouins sont surpris de notre acception péjorative du mot «chameau» pour désigner une personne méchante ou acariâtre: «Quel vieux chameau!». Pour eux, le chameau a toutes les vertus et les veuves suivent, paraît-il, le corps de leur mari défunt en se tordant les mains et en hurlant: «jamaliii, jamaliii!...Mon chameau, mon chameau!...». Entraîne-toi, Pascale…

A part les chameaux, j’apprends beaucoup et nous nous faisons beaucoup d’amis dans des voyages au Maroc et en Egypte. Les visages s’éclairent quand on fait l’effort de bredouiller quelques phrases dans la langue du pays d’accueil. En Egypte, j’ai le souvenir ému d’un surveillant de musée d’abord revêche. Il était manifestement agacé par le déferlement de touristes rastaqouères et regardait avec suspicion notre appareil photo. Son regard s’est illuminé lorsque je lui ai dit quelques salutations banales: sabaj al jer, sabaj al nour, salaam (les j prononcées comme la jota, bien que ce soit historiquement le contraire)… Finalement, il a sorti de son sac son appareil photo, une vieille boîte cubique et nous a demandé l’autorisation de nous prendre en photo…

Hélas, le BIT cède à la maladie de la rentabilité et le cours est supprimé l’année suivante: 4 élèves, c’est insuffisant. Mon projet d’être le Luther de l’Islam est mal parti!

Alors, tous ces efforts pour rien? Non, il en est resté quelque chose: on «ne me la fait pas» avec le Coran, beau Livre (kitab) souple, adaptable et tolérant. Je sais écarter d’un revers de la main les interprétations bornées des ultras de tous bords qui opiacent le peuple… Je sais rétablir dans son contexte géographique et chronologique ses écrits. Il me revient une belle histoire à raconter à ce sujet:

Nous sommes en 1995 au Niger. Nous revenons du village artisanal de Dakoro, au nord de Maradi. Nous sommes à cinq en voiture, quatre Nigériens pieux et moi. La nuit tombe et un vent de sable se lève. C’est très impressionnant: très vite, on ne distingue plus le bord de la route des champs, tout a une couleur uniforme, je ne vois pas d’autre comparaison que la neige. Nouhou est au volant: il conduit de main de maître. Mais l’anxiété est pesante, d’autant plus que nous sommes dans une région tout juste «pacifiée» à la suite de l’insurrection touarègue. Il faut filer vite avant la nuit et avant la dernière patrouille de l’armée… On kidnappe, on prend des otages, on vole des 4X4, dit-on. Bref, nous avons le feu aux fesses…

C’est le moment que choisit le plus dévot de la bande pour déclarer: «C’est l’heure de la prière, arrêtons-nous!». Embarras des autres, pris entre la piété et la frousse. Ils essaient timidement de proposer un report de la prière. Nouhou affirme qu’il ne répond plus de rien si l’on s’arrête. Il lui est répondu que la volonté de Dieu est plus forte que tout, que nous devons prier et remettre notre sort entre Ses mains. J’écoute. J’ai toujours avec moi mon Coran haussa/arabe à la main droite ...

Je lis à haute et intelligible voix sourate II, verset 240: «Si vous craignez quelque danger, vous pouvez prier debout ou à cheval».

Soulagement! Daniel, l’imam prêcheur, a parlé! Eh oui, bien sûr, le cheval de l’époque, c’est l’automobile d’aujourd’hui! Tout le monde tombe d’accord: nous allons prier en voiture! Mes amis le font et moi aussi. Chacun à sa façon, nous prions finalement le même Dieu.

Que la paix soit avec tous!











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