La tour de Babel: mieux vaut en rire (suite N°1)
La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien
Préambule
Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après avoir commencé par le Portugais, je continue par l'Allemand.
L’allemand et moi (1)
Meine
Birne ist kaput
C’était
en Suisse, en 1967. Je m’étais cassé tibia et péroné au ski. On
m’avait transporté dans la petite clinique voisine. La neige
fraîche avait sévi, le petit établissement était débordé :
il y avait des jambes et des pieds à réparer un peu partout.
L’unique médecin faisait ses réductions à la chaîne et bâclait
un peu. On me rafistola à la va-vite. On me prévint que j’allais
avoir mal pendant la nuit et qu’il était inutile d’appeler,
l’établissement ayant épuisé son stock de remèdes contre la
douleur…
Vers
quatre heures du matin, torturé par la souffrance et encore plus par
un besoin impérieux d’exercer mes fonctions naturelles, je sonnai
en vain puis, de guerre lasse, je frappai au mur pour réclamer un
urinal. Point de réponse. Je frappai encore. Une patiente
hospitalisée dans une chambre voisine vint charitablement
entr’ouvrir ma porte et s’enquérir de mes besoins en allemand,
seule langue qu’elle connaissait.
Demander
à une dame inconnue, à quatre heures du matin, en se tortillant, de
l’aide pour faire pipi, ceci en allemand,
langue dont je maîtrisais une centaine de mots, croyez-moi, ce n’est
pas un exercice facile ! J’avais un vague souvenir de Bein,
Beine, la jambe, les jambes. Mais je confondis avec Birne,
la poire, au sens propre mais aussi, si je ne m’abuse, la tête au
sens figuré. Je me lançai, pressé par la nécessité :
« Meine
Birne ist kaput ! » éructai-je
Réalisant
que son bon geste avait été téméraire, la dame charitable eut un
mouvement de recul, referma rapidement la porte et, persuadée
d’avoir eu affaire à un fou, prit la fuite sans mot dire, me
laissant à ma torture…
(Tête
de Louis-Philippe 1er suite à
un accident de ski)
L’allemand
et moi (2)
Wollen Sie ein Glass Bier?
Je me
suis livré tout au long de ma vie à un intense papillonnage
linguistique. La méthode « Assimil »
(publicité gratuite) a été le principal outil de mes efforts pour
butiner quelques phrases, juste assez pour dérider mes
interlocuteurs étrangers et les rendre bienveillants. Les apprentis
polyglottes de ma génération ont tous bien connu « My
tailor is rich », « Diese Maschine
ist nicht neu », « Alberto va a
Paris », « A rua è curta »,
« Jan draagt een zwaar pack » et
« Roma non fu fatta in un giorno ».
C’est
suffisant pour se débrouiller et gagner la sympathie des indigènes,
mais pas pour éviter les quiproquos. J’en ai fait maintes fois
l’expérience :
L’Assimil
allemand m’avait enseigné: « Wollen
Sie ein Glass Bier? Voulez-vous un verre de
bière? », ce qui paraît très approprié pour
voyager outre-Rhin. Me rendant en 1955 à Heidenheim (Würtenberg),
j’interpelai un chef de gare à la casquette rouge impressionnante
et lui demandai où était le train pour Heidenheim.
« Gleis
vier, quai quatre » me répondit-il
J’entendis
vaguement « Glass Bier ».
« Nein,
nein, ich will nicht trinken. Bitte, der Zug
nach Heidenheim Non, non, je ne veux pas boire. Le train
pour Heidenheim, s’il vous plaît ». Et j’appuyai ma
requête d’un bruit de locomotive : Tch…Tch…Tch…
« Ja,
ja, Gleis vier ».
Son
entêtement à me diriger vers le buffet me découragea. Je bondis
dans le premier train en partance…et me retrouvai à Stuttgart.
(Wollen Sie ein Glass Bier?)
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