dimanche 4 septembre 2016

La tour de Babel: mieux vaut en rire! (suite N° 5) L'hébreu et moi

La tour de Babel: mieux vaut en rire! (suite N°5)


L'hébreu et moi


















La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien






Préambule




Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe, le Polonais et l'Arabe, je poursuis par l'Hébreu qui n'est pas sans liens avec le précédent.




L’hébreu et moi


Inutile d’insister sur l’expression courante «Pour moi, tout ça, c’est de l’hébreu…» qui semble placer cette langue parmi les plus impénétrables. Alors, que suis-je allé faire sur cette galère? Réponse: comme pour l’arabe, c’est encore à cause de la religion et du Livre, mais pas de la même religion et du même Livre…Et précisément aussi, à cause des galères… Je m’explique:


Du côté paternel, je porte 4 siècles de protestantisme sur les épaules, sans discontinuité. Une vingtaine de générations, une douzaine de pasteurs, le dernier en date, pasteur à Besançon, est mort dans les année trente. Le premier, à ma connaissance, Jean Bas, figure sur le mémorial du musée du Désert, dans les Cévennes: il est mort aux galères du roi pour avoir fait passer en Suisse des coreligionnaires. J’ai toujours été friand de généalogie et ce passé de résistance et de clandestinité m’obsède et me modèle depuis l’adolescence. J’ai opté pour le baptême protestant à 20 ans (mes parents m’avaient laissé le choix). Bien plus, l’idée d’être pasteur m’a effleuré, superficiellement mais longuement, à l’âge des choix professionnels.


Plus rien pendant plus de 40 ans, puis, à la veille de prendre ma retraite, en 1997, l’idée me chatouille à nouveau dans ma lointaine Afrique. Qu’est-ce que je vais faire de ma retraite? N’est-il pas temps de prendre de la hauteur et du recul ? La théologie sied bien à un jeune étudiant de 65 ans. «Qu’est-ce que tu dirais, Pascale, d’être femme de pasteur?». Bon, c’est pas l’enthousiasme, mais enfin, en dehors du dimanche, il y aurait des bons moments creux et puis des œuvres sociales à gérer… Ma vocation n’est pas vraiment très vigoureuse mais, par rapport à la première velléité, il y a quand même cette fois-ci un commencement d’exécution: je me procure les programmes et conditions d’entrée à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et à celle de Paris.


Je tombe sur un os: il y a un prérequis. Il faut avoir fait du latin, du grec et de l’hébreu! Qu’à cela ne tienne! Mon adjoint part en voyage en Europe, je lui demande de me trouver un livre d’hébreu, n’importe lequel, histoire de voir à quoi ça ressemble.







Il s’exécute gentiment et me rapporte la méthode Assimil «L’hébreu sans peine», en hébreu moderne ressuscité et rénové, bien entendu. Je pâlis: encore un alphabet à assimiler après l’arabe et le cyrillique! Je fais quelques leçons, puis j’abandonne aussi bien l’hébreu que ma fugitive vocation de pasteur… Exit la vocation pour toujours. Exit l’hébreu pour longtemps, mais pas sans espoir de retour…


2004: en vacances en Suisse dans une résidence d’artistes, nous faisons connaissance d’une jeune Israélienne qui sculpte avec talent. Son visa touche à sa fin, elle doit changer de pays, elle ne veut pas rentrer chez elle car elle refuse de servir dans l’armée. C’est une «Colombe» qui s’insurge contre les «Faucons» et aussi contre les vrais, d’ailleurs. Elle nous est très sympathique, elle viendra passer plus de trois mois chez nous, avec à la clé un stage de cire perdue dans l’atelier de Pascale. Elle est créative, elle décore les murs ou la table avec fantaisie. Elle est végétarienne et arrive à nous convaincre par moments grâce à ses recettes innovantes. Elle s’appelle Avivit, ce qui signifie en hébreu «le printemps», c’est tout dire.





(Avivit, « le printemps » en Hébreu. Photo Pascale Bas)


Avivit parle longuement de son pays. Elle nous apprend qu’Israël a deux langues officielles: l’hébreu et l’arabe et que 500 000 Arabes, soit 10% de la population, ont la nationalité israélienne. Elle compte de nombreux amis dans cette communauté. Elle est persuadée qu’il n’y a pas d’autre solution que de se mettre à table, de causer et de se comprendre. Ce ne devrait pas être si difficile car les deux peuples sortent du même tonneau : ce sont des Sémites. Parler d’un Arabe antisémite, c’est à peu près aussi idiot que de parler d’un Italien antilatin…Elle insiste sur ce qui rapproche les deux peuples plus que sur ce qui les oppose.


C’est le cas pour les langues : deux écritures alphabétiques qui s’écrivent de droite à gauche et ne comprennent que des consonnes, la voyellation n’étant généralement pas marquée. A l’exception du V et du P, toutes les lettres de l’hébreu ont leur correspondant en arabe. Particularités de l’hébreu : les lettres ne sont jamais liées, à la différence de l’arabe. Il existe, comme pour notre écriture, deux alphabets : l’un, appelé hébreu carré, correspond à nos lettres d’imprimerie, l’autre est utilisé pour l’écriture manuscrite. Il n’est pas difficile de reconnaître que salam (qui signifie « la paix » en arabe) est le même mot que son équivalent hébreu shalom. On le retrouve dans Jérusalem, « la ville de la paix ». On trouve un grand nombre de similitudes de ce type.


L’hébreu est une langue à maints égards exceptionnelle. On retiendra surtout sa longévité (les premiers textes de la Bible sont vieux de 3500 ans), son rayonnement spirituel (elle a profondément influencé les trois grandes religions monothéistes), son entrée en hibernation au Ier siècle de notre ère (avec la diaspora), sa résurrection comme langue parlée sous une forme enrichie dans le sens de la modernité avec la création de l’Etat d’Israël en 1948. L’hébreu a transmis au français quelques mots du domaine religieux : satan (diable), sabbat (samedi), amen (je crois), tohu-bohu (désert et vide, état de la terre au moment de la création, Genèse, chapitre 1er).


Avivit est rieuse, joueuse et pétillante, du moins en surface. Elle a 21 ans, c’est pour nos fils une grande sœur qui les aide à prendre leur envol et à gagner en autonomie. Une grande affection les lie tous les trois.


(Jérôme, 16 ans, Avivit, 21 printemps, Samuel, 12 ans. Photo Pascale Bas)





(Avivit, 21 printemps et Samuel, 12, en 2004. Photo Pascale Bas)


Nous nous faisons un plaisir d’apprendre du vocabulaire courant avec elle: ken, oui ; lo, non ; léhitraot, au revoir ; boker tov, bonjour ;erev tov, bonsoir ;chalom, salut ; ma chlomkha ? comment vas-tu ? (As-tu la paix ?) ;Béssèder, toda : bien, merci ; toda raba, merci beaucoup ; heï, bahoura : hé, jeune fille !


Avivit nous quitte pour retourner en Suisse fin 2004. Les nouvelles se font rares en 2005 : des amis nous disent qu’elle serait en proie à une profonde dépression. Elle aurait en projet des voyages en Tunisie et au Niger. En janvier 2006, un dernier e-mail souhaite la bonne année « à la plus belle famille française sur cette planète »…Nous répondons avec une insistance affectueuse : où es-tu, que deviens-tu, où et comment pouvons-nous nous rencontrer ? Pas de réponse. Puis le rideau tombe : Avivit est rentrée in extremis en Israël pour y connaître une fin tragique. Nous sommes tous très perturbés, surtout les enfants dont c’est le premier contact avec la mort d’un être cher.


Et puis, comment « faire notre deuil » ? Nous n’avons aucune adresse, ne connaissons personne de la famille, nous ne pouvons parler d’elle avec personne. Alors, nous organisons des cérémonies rituelles autour d’une Avivit que nous voulons maintenir vivante. Nous plantons des arbres : lilas blanc, rosier blanc, framboisier. Le lilas blanc est très beau aujourd’hui. Et nous ouvrons un beau carnet, un livre d’or où chacun de nous fera son apport : dessins, poèmes, etc. Je suis le seul à ne pas savoir dessiner. Alors, en hommage à un printemps si intense et si court, je me replonge dans mon livre pour apprendre à écrire quelques mots en hébreu…


Voici le maigre résultat d’un long apprentissage qui devait au départ me faire monter en chaire pour le culte dominical. Amen.







Et pour la « Colombe » Avivit, un salut fraternel, un message de paix dans un grand nombre de langues. En bas, à droite, la paix en arabe (salam) et la paix en hébreu (shalom) semblent faire bon ménage…Ce n’est qu’un début, espérons-le.







(Contributions de Daniel au carnet de deuil. Une précision probablement utile : après le Polonais, c’est du Finnois, puis de l’Haussa et du Djerma, langues du Niger)



























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