La tour de Babel: mieux vaut en rire! (suite N°5)
L'hébreu et moi
La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien
Préambule
Selon
la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même
langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour
dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu
irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se
comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre.
La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme
proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir
contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les
morceaux en flirtant
(ou en «contant
fleurette» si vous préférez)
avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs
dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe,
le Polonais et l'Arabe, je poursuis par l'Hébreu qui n'est pas sans
liens avec le précédent.
L’hébreu
et moi
Inutile
d’insister sur l’expression courante «Pour moi, tout
ça, c’est de l’hébreu…» qui semble placer cette
langue parmi les plus impénétrables. Alors, que suis-je allé faire
sur cette galère? Réponse: comme pour l’arabe, c’est encore à
cause de la religion et du Livre, mais pas de la même religion et du
même Livre…Et précisément aussi, à cause des galères… Je
m’explique:
Du
côté paternel, je porte 4 siècles de protestantisme sur les
épaules, sans discontinuité. Une vingtaine de générations, une
douzaine de pasteurs, le dernier en date, pasteur à Besançon, est
mort dans les année trente. Le premier, à ma connaissance, Jean
Bas, figure sur le mémorial du musée du Désert, dans les Cévennes:
il est mort aux galères du roi pour avoir fait passer en Suisse des
coreligionnaires. J’ai toujours été friand de généalogie et ce
passé de résistance et de clandestinité m’obsède et me modèle
depuis l’adolescence. J’ai opté pour le baptême protestant à
20 ans (mes parents m’avaient laissé le choix). Bien plus, l’idée
d’être pasteur m’a effleuré, superficiellement mais longuement,
à l’âge des choix professionnels.
Plus
rien pendant plus de 40 ans, puis, à la veille de prendre ma
retraite, en 1997, l’idée me chatouille à nouveau dans ma
lointaine Afrique. Qu’est-ce que je vais faire de ma retraite?
N’est-il pas temps de prendre de la hauteur et du recul ? La
théologie sied bien à un jeune étudiant de 65 ans. «Qu’est-ce
que tu dirais, Pascale, d’être femme de pasteur?».
Bon, c’est pas l’enthousiasme, mais enfin, en dehors du dimanche,
il y aurait des bons moments creux et puis des œuvres sociales à
gérer… Ma vocation n’est pas vraiment très vigoureuse mais, par
rapport à la première velléité, il y a quand même cette fois-ci
un commencement d’exécution: je me procure les programmes et
conditions d’entrée à la faculté de théologie protestante de
Strasbourg et à celle de Paris.
Je
tombe sur un os: il y a un prérequis. Il faut avoir fait du latin,
du grec et de l’hébreu! Qu’à cela ne tienne! Mon adjoint part
en voyage en Europe, je lui demande de me trouver un livre d’hébreu,
n’importe lequel, histoire de voir à quoi ça ressemble.
Il
s’exécute gentiment et me rapporte la méthode Assimil «L’hébreu
sans peine», en hébreu moderne ressuscité et rénové, bien
entendu. Je pâlis: encore un alphabet à assimiler après l’arabe
et le cyrillique! Je fais quelques leçons, puis j’abandonne aussi
bien l’hébreu que ma fugitive vocation de pasteur… Exit la
vocation pour toujours. Exit l’hébreu pour longtemps, mais pas
sans espoir de retour…
2004:
en vacances en Suisse dans une résidence d’artistes, nous faisons
connaissance d’une jeune Israélienne qui sculpte avec talent. Son
visa touche à sa fin, elle doit changer de pays, elle ne veut pas
rentrer chez elle car elle refuse de servir dans l’armée. C’est
une «Colombe» qui s’insurge contre les «Faucons» et aussi
contre les vrais, d’ailleurs. Elle nous est très sympathique, elle
viendra passer plus de trois mois chez nous, avec à la clé un stage
de cire perdue dans l’atelier de Pascale. Elle est créative, elle
décore les murs ou la table avec fantaisie. Elle est végétarienne
et arrive à nous convaincre par moments grâce à ses recettes
innovantes. Elle s’appelle Avivit, ce qui signifie en hébreu «le
printemps», c’est tout dire.
(Avivit,
« le printemps » en Hébreu. Photo Pascale Bas)
Avivit
parle longuement de son pays. Elle nous apprend qu’Israël a deux
langues officielles: l’hébreu et l’arabe et que 500 000
Arabes, soit 10% de la population, ont la nationalité israélienne.
Elle compte de nombreux amis dans cette communauté. Elle est
persuadée qu’il n’y a pas d’autre solution que de se mettre à
table, de causer et de se comprendre. Ce ne devrait pas être si
difficile car les deux peuples sortent du même tonneau : ce
sont des Sémites. Parler d’un Arabe antisémite, c’est à peu
près aussi idiot que de parler d’un Italien antilatin…Elle
insiste sur ce qui rapproche les deux peuples plus que sur ce qui les
oppose.
C’est
le cas pour les langues : deux écritures alphabétiques qui
s’écrivent de droite à gauche et ne comprennent que des
consonnes, la voyellation n’étant généralement pas marquée. A
l’exception du V et du P, toutes les lettres de l’hébreu ont
leur correspondant en arabe. Particularités de l’hébreu :
les lettres ne sont jamais liées, à la différence de l’arabe. Il
existe, comme pour notre écriture, deux alphabets : l’un,
appelé hébreu carré, correspond à nos lettres d’imprimerie,
l’autre est utilisé pour l’écriture manuscrite. Il n’est pas
difficile de reconnaître que salam (qui
signifie « la paix » en arabe) est le même mot que son
équivalent hébreu shalom. On le retrouve dans
Jérusalem, « la ville de la paix ».
On trouve un grand nombre de similitudes de ce type.
L’hébreu
est une langue à maints égards exceptionnelle. On retiendra surtout
sa longévité (les premiers textes de la Bible sont vieux de 3500
ans), son rayonnement spirituel (elle a profondément influencé les
trois grandes religions monothéistes), son entrée en hibernation au
Ier siècle de notre ère (avec la diaspora), sa résurrection comme
langue parlée sous une forme enrichie dans le sens de la modernité
avec la création de l’Etat d’Israël en 1948. L’hébreu a
transmis au français quelques mots du domaine religieux : satan
(diable), sabbat (samedi), amen
(je crois), tohu-bohu (désert et vide, état de
la terre au moment de la création, Genèse, chapitre 1er).
Avivit
est rieuse, joueuse et pétillante, du moins en surface. Elle a 21
ans, c’est pour nos fils une grande sœur qui les aide à prendre
leur envol et à gagner en autonomie. Une grande affection les lie
tous les trois.
(Jérôme,
16 ans, Avivit, 21 printemps, Samuel, 12 ans. Photo Pascale Bas)
(Avivit,
21 printemps et Samuel, 12, en 2004. Photo Pascale Bas)
Nous
nous faisons un plaisir d’apprendre du vocabulaire courant avec
elle: ken, oui ; lo,
non ; léhitraot, au revoir ; boker
tov, bonjour ;erev tov,
bonsoir ;chalom, salut ; ma
chlomkha ? comment vas-tu ? (As-tu la
paix ?) ;Béssèder, toda : bien,
merci ; toda raba, merci beaucoup ;
heï, bahoura : hé, jeune fille !
Avivit
nous quitte pour retourner en Suisse fin 2004. Les nouvelles se font
rares en 2005 : des amis nous disent qu’elle serait en proie à
une profonde dépression. Elle aurait en projet des voyages en
Tunisie et au Niger. En janvier 2006, un dernier e-mail souhaite la
bonne année « à la plus belle famille française
sur cette planète »…Nous répondons avec une
insistance affectueuse : où es-tu, que deviens-tu, où et
comment pouvons-nous nous rencontrer ? Pas de réponse. Puis le
rideau tombe : Avivit est rentrée in extremis en Israël pour y
connaître une fin tragique. Nous sommes tous très perturbés,
surtout les enfants dont c’est le premier contact avec la mort d’un
être cher.
Et
puis, comment « faire notre deuil » ? Nous n’avons
aucune adresse, ne connaissons personne de la famille, nous ne
pouvons parler d’elle avec personne. Alors, nous organisons des
cérémonies rituelles autour d’une Avivit que nous voulons
maintenir vivante. Nous plantons des arbres : lilas blanc,
rosier blanc, framboisier. Le lilas blanc est très beau aujourd’hui.
Et nous ouvrons un beau carnet, un livre d’or où chacun de nous
fera son apport : dessins, poèmes, etc. Je suis le seul à ne
pas savoir dessiner. Alors, en hommage à un printemps si intense et
si court, je me replonge dans mon livre pour apprendre à écrire
quelques mots en hébreu…
Voici
le maigre résultat d’un long apprentissage qui devait au départ
me faire monter en chaire pour le culte dominical. Amen.
Et
pour la « Colombe » Avivit, un salut fraternel, un
message de paix dans un grand nombre de langues. En bas, à droite,
la paix en arabe (salam) et la paix en hébreu (shalom) semblent
faire bon ménage…Ce n’est qu’un début, espérons-le.
(Contributions
de Daniel au carnet de deuil. Une précision probablement utile :
après le Polonais, c’est du Finnois, puis de l’Haussa et du
Djerma, langues du Niger)
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