LA MARSEILLAISE
Il
faut que je vous dise deux mots de «La Marseillaise»,
que je vous dise pourquoi je ne me fais pas prier pour la faire
chanter par nos écoliers ou la chanter moi-même a capella
sur le parvis de notre église les jours de cérémonies mémorielles.
Il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer sans les replacer
dans un contexte.
« La
Marseillaise », je l’ai apprise à l’école dès
l’âge de 6 ou 7 ans, comme tous les gosses de ma génération. On
devait la chanter au 14 juillet, à la distribution des prix, à
l’époque des beaux livres rouges dorés sur tranche qui
récompensaient les bons élèves. Je l’ai aussitôt oubliée tant
les paroles étaient pour moi de l’hébreu.
Mais
mon grand-père a décidé de me la réapprendre en cachette quand
j’ai eu dix ans (ce chant de guerre était peu prisé de l’occupant
et du régime de Vichy qui lui préférait: «Maréchal,
nous voilà, ô toi, le sauveur de la France»). Je l’ai
assimilée avec d’autant plus de plaisir et d’ardeur que ça
avait l'attrait du défendu et que ma mère ne cessait de dire à mon
grand-père: «Tu es fou. Tu vas nous faire tous arrêter!».
Le
chant de guerre de l’armée du Rhin comptait
huit couplets. L’un d’eux a été interdit dès 1792 par le
ministre de la guerre de l’époque, un certain Servan. Ses paroles
n’étaient pas dans la droite ligne révolutionnaire:
Dieu
de clémence et de justice, vois nos tyrans, juge nos cœurs
Que
ta bonté nous soit propice, défends-nous de ces oppresseurs
Tu
règnes au ciel et sur terre…etc.
Exit
la bondieuserie qui n’était plus de bon ton! Restent sept
couplets. L’hymne national en compte trois («Allons,
enfants de la patrie…», «Nous entrerons dans
la carrière», «Amour sacré de la patrie…»).
Quatre sont tombés en désuétude. Eh bien, s’il reste un seul
Français qui peut en chanter quatre, c’est moi! Je peux aussi vous
entonner:
Quoi?
Des cohortes étrangères feraient la loi dans nos foyers?
Quoi?
Des phalanges mercenaires terrasseraient nos guerriers?
Cependant,
j'en fais grâce à mes auditeurs, j'ai pitié de nos malheureux
pompiers au garde-à-vous sans repos pendant la minute de silence et
pendant l'enfilade des trois couplets qui suivent immédiatement...
C’est
ainsi. Je peux chanter quatre couplets de «La
Marseillaise», je n’y peux rien, je suis préprogrammé
par l’Histoire avec un grand H. Que j’aie pu imaginer notre
meilleur voisin attaquant «La Marseillaise»
face au peloton d’exécution en 1943 ne m’a pas arrangé…Pas
davantage le fait qu’à la Libération on vendait et on chantait
dans les rues non seulement «La Marseillaise»
mais aussi les hymnes des Alliés. Je peux vous chanter l’américain,
l’anglais, le canadien, le belge, le russe, le norvégien, le
luxembourgeois…Ce sera pour une autre fois. Ne vous inquiétez pas,
je me soigne…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire