lundi 5 septembre 2016

La tour de Babel: mieux vaut en rire (suite N°7) L'Anglais et moi

La tour de Babel: mieux vaut en rire (suite N°7)

L'Anglais et moi



La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien


Préambule


Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe, le Polonais, l'Arabe, l'Hébreu et le Néerlandais, je poursuis ave l'Anglais.


L’anglais et moi (1)

Sciuscià


D’où me vient le goût des langues, des voyages et des cultures, moi qui suis d’une famille sédentaire, casanière, monoglotte, rarement biglotte, jamais troglodyte comme disait ma grand’mère qui n’a jamais su dire polyglotte? La guerre, encore la guerre… A 12/13 ans, j’avais déjà vu et entendu, dans des conditions pour le moins hors du commun, quelquefois même tragiques, donc susceptibles d’aviver la mémoire d’un jeune, des Anglais, des Allemands, des Hollandais, des Belges, des Luxembourgeois, des Polonais, des Ukrainiens, des Russes, des Américains, des Canadiens, des Italiens, des Espagnols républicains, des Sénégalais, des Maghrébins et j’en passe… Je savais pour l’avoir appris sur le tas qu’ils ne mangeaient pas les mêmes plats, qu’ils avaient des habitudes et des religions différentes, qu’ils ne parlaient pas la même langue que nous.

Rouen a été libérée le 30 août 1944 par les Canadiens. Le lendemain, ce fut le raz-de-marée de la liesse, la place de l’Hôtel de Ville noire de monde, les gens juchés sur les toits des tramways pour voir défiler les libérateurs!

(Photo prise par mon frère Michel Bas le 31 août 1944)


Puis les Anglais et enfin les Américains blancs et noirs remplacèrent les Canadiens. Mon petit bagage d’anglais de 6ème, je l’ai alors fait fructifier sur les marchepieds des camions militaires : j’observais place Beauvoisine le long défilé des convois qui montaient la route de Neufchâtel vers la Belgique, le Rhin et la victoire finale, je sautais sur le premier véhicule qui ralentissait et l’empruntais jusqu’au plateau de Bihorel.

Je redescendais comme je pouvais en centre ville, quelquefois en jeep, sensationnelle découverte à l’époque. Puis, je profitais à nouveau de la noria ininterrompue pour me balader, causer en mâchant du chewing-gum, apprendre à distinguer l’Arizona du Colorado ou le Nevada de l’Arkansas …

Grâce à Monsieur Reynaud, mon premier professeur d’anglais au Lycée Corneille, et à mon Carpentier-Fialip de sixième, je maîtrisais les précieuses prépositions from et to indispensables pour amorcer la conversation: « Where do you come from ? Where are you going to? ». C’est que nous avions appris en classe à chanter :

This is the way we go to school and go to school and go to school

This is the way we go to school, on a cold and frosty morning.

This is the way we come from school, come from school, come from school


(L’incontournable Carpentier-Fialip de ma génération, à l’époque où les livres changeaient rarement et pouvaient être réutilisés par les petits frères)

Daniel - qu’on appelait alors plus souvent de son surnom d’enfance : Bouboune – étendait progressivement son rayon d’action, à l’insu de ses parents. Il lui arrivait de fumer, mais en cachette car Louhisse-le-père (prononciation à l’allemande héritée de ses nombreuses années de captivité) passait fréquemment des inspections d’haleine : souvenir atroce que ce nez puissant et poilu qui pousse ses investigations jusqu’à la luette ! Le chewing gum à la menthe forte aidait bien à masquer les relents du tabac. Mais il valait mieux cracher le résidu avant de rentrer car la mastication bovine n’était pas vraiment appréciée à la maison.

En raison des privations, l’Europe était alors pleine de Sciuscià, ces gosses des rues en quête de survie immortalisés par le merveilleux film de Vittorio De Sica :




Moi aussi, je me suis joint au concert des « Cigarette pour papa » mais j’en ai été guéri à jamais. Voici comment : j’étais en plein milieu d’une grappe de mômes qui investissaient une jeep américaine et harcelaient ses occupants bienveillants de « Cigarette pour papa ! Cigarette pour papa ! ». Une poigne solide s’abattit sur ma nuque, saisit le col de ma chemise, me souleva et m’exfiltra du groupe. L’autre main prit le relais, empoigna le fond de mon pantalon. Mon père avait surgi sur mes arrières ! Je fus en moins de deux transporté à vingt mètres, dans un endroit plus calme où l’on pouvait s’expliquer. Brève séquence pédagogique où j’ai appris le sens du mot : dignité. « Tendre la main » n’était pas dans la culture paternelle…

Bouboune va donc devoir trouver d’autres moyens d’approche de nos libérateurs pour poursuivre son immersion linguistique...



L’anglais et moi (2)

Bouboune, businessman et médiateur



L’avance des alliés fut si rapide à l’automne 44 que le carburant vint à leur manquer : gaspilleurs, les Américains avaient rempli leurs réservoirs avec des jerricans (encore une nouveauté sensationnelle à l’époque !) qu’ils avaient ensuite jetés vides sur le bord des routes. Une action citoyenne de ramassage de jerricans s’organisa. J’y participai avec enthousiasme et j’eus ainsi l’opportunité d’entrer dans les casernements et d’établir des relations « d’affaires » avec les Américains…




Pour m’implanter parmi eux, j’avais un autre atout-maître : Grand-Père n’avait pas seulement occupé son petit-fils ces derniers mois à creuser et reboucher des tranchées, il lui avait aussi affecté une partie de son potager. Bouboune avait cultivé avec ferveur, ses récoltes étaient abondantes. Bouboune avait donc avec les Américains une monnaie d’échange, il pouvait les aborder sous l’angle du business, ce qui n’était pas pour leur déplaire.

Ils avaient du pain blanc, du chocolat, du corned beef (communément appelé « singe » chez nous), mais ils redoutaient le scorbut et se jetaient sur les produits frais. Les termes de l’échange étaient très favorables à Bouboune: ce qu’on pouvait troquer contre une livre de tomates ou une paire de laitues était impressionnant !

« Bouboune » portait alors des petits blousons à fermeture éclair que lui confectionnait sa maman. Muni de quelques fruits et légumes et de ses quatre mots d’anglais, il était le seul gosse du quartier admis à pénétrer dans tous les cantonnements alliés du coin. Bouboune fendait la foule, fier comme Artaban, se rendait aux cuisines, déposait son offrande d’or vert, mangeait sur place quelque chose que le cuisinier lui avait mis de côté (Oh ! Le merveilleux cake aux fruits anglais entièrement englouti en quelques minutes! Souvenir inoubliable !...), puis il faisait le plein de pain blanc et de conserves, en gonflait son petit blouson à en craquer.

(1945 : Au centre, Bouboune et son petit blouson à provisions un peu distendu sur le ventre. Derrière lui, sa mère et son frère Michel ; à l’extrême gauche son père et à l’extrême droite son ami Pierre Legay qui sera son beau-père 42 ans plus tardSœurs, petit frère, mère de Pierre. Personne ne songe encore à Pascale qui naîtra dans 13 ans. )

Bouboune fréquentait aussi les Américains à l’hôpital de Bois-Guillaume. Il y donnait des leçons de français à quelques officiers et y restait souvent à dîner : c’est là qu’il a expérimenté son premier restaurant libre-service avec d’étonnants plateaux à alvéoles qu’il faisait remplir plutôt deux fois qu’une. Un jour, il a tant mangé qu’il ne pouvait plus marcher. Il s’est assis sur une borne kilométrique. La petite voisine Colette qui passait par là est allée prévenir les Bas. Michel est venu chercher Bouboune et l’a roulé jusqu’à la maison.


(Entre toutes les merveilles qu’offre le self-service américain, Bouboune ne choisit pas, il cumule…Dessin de Pascale Bas)

Bouboune s’émancipait. Il rentrait de plus en plus tard. Les réprimandes étaient de moins en moins vigoureuses. Son blouson rebondi achetait le silence de parents pourtant rigoureux. C’est que les temps étaient durs et il fallait survivre ! D’ailleurs, tout le quartier commençait à utiliser les services du médiateur en culottes courtes qui savait communiquer avec les libérateurs. Il arrivait souvent que des voisins vinssent le consulter à domicile pour des traductions, en particulier des modes d’emploi.

Mais il arrivait surtout que les services de Bouboune fussent sollicités pour mettre du liant dans les dialogues qui s’ébauchaient entre les soldats alliés et nos jeunes filles en fleur ou en boutons. Ceci devait développer très vite chez l’interprète l’acquisition d’un vocabulaire spécialisé peu conforme aux programmes de sixième ou cinquième, introuvable dans le Carpentier-Fialip et peu seyant pour un petit personnage en culottes courtes et dépourvu du moindre poil au menton…Cependant, Bouboune, dans ses traductions, avait à cœur de calmer les passions et les pulsions en employant des termes choisis non exempts de romantisme. Au fond, Bouboune était l’ange gardien des vertus branlantes, une sorte de bitte d’amarrage pour jeunes filles à la dérive…

Une bitte d'amarrage

Il convient de préciser que la « fraternisation » (comme on disait alors) de nos jeunes filles avec les troupes libératrices ne rencontrait pas dans le public une réprobation aussi vive que celle qu’engendrait la fréquentation des troupes d’occupation allemandes. Les alliés méritaient un minimum de sens de l’accueil. « Oh, la, la !… » était pour les Américains le sésame du dragage en France et une chanson de l’époque en témoigne :

« Oh, la, la ! Good morning, madmaselle, oh, la, la ! I go à l’Opéra

Oh, la, la ! Mais ça tombe bien, dit-elle, oh, la, la, justement j’vais par là… »





Cependant, si le rapprochement avec les Alliés était considéré avec une relative bienveillance, il ne faut pas oublier que la pilule ne sera en vente dans nos pharmacies qu’un quart de siècle plus tard et que l’inquiétude était donc très vive chez les parents des filles. A ce propos, un événement marquant est venu troubler la famille Bas un beau soir.

Il est 20 heures, l’heure sacrée où les Bas dînent et n’aiment pas être dérangés. On frappe à la porte… On entend une troupe de femmes qui caquètent dans le jardin. Qui peut bien se présenter en grand nombre et à grand bruit à une heure pareille ?


L’anglais et moi (3)

Bouboune, le « parrain »


« Qui peut bien frapper à pareille heure ? » pensent les quatre Bas en chœur. Louhisse-le-père range sa serviette, ajuste ses lunettes et va prudemment entr’ouvrir la porte. Nous cessons de mastiquer, nous attendons et écoutons en silence : trois mères agitées sont là avec leurs filles, graves et butées, ça doit être important…

« Bonsoir mesdames, mesdemoiselles, que puis-je faire pour vous ? entame Louhisse-le-père, jovial mais quand même anxieux
  • Bonsoir, monsieur Bas, excusez-nous de vous déranger, mais c’est pour une affaire sérieuse, rapport à nos filles. Daniel est-il là ?
  • Oui, bien sûr, Daniel, viens ici. Rien de grave, j’espère… Daniel, dépêche-toi un peu ! ».
Daniel se présente en traînant la savate, sous l’œil interrogateur et inquiet de Louhisse-le-père. Qu’est-ce qu’on peut bien lui vouloir ? 

« Bonsoir, Daniel, entonne le chœur des voix féminines, plutôt rassurant. Et la plus hardie des mères de poursuivre :
  • Voilà ce qui nous amène : monsieur Bas, vous savez dans quel contexte vit actuellement la jeunesse, elle a le tournis, elle est déboussolée ! Nos filles ne tiennent plus en place, elles n’ont plus d’heure pour rentrer. Nous avons surpris des échanges de correspondance significatifs et saisi des photos de soldats américains, nous les avons pincées à plusieurs reprises à traîner du côté des casernements alliés. Alors, vous comprenez notre inquiétude, elles n’ont que 14 ou 15 ans

(Les trois greluches baissent du nez, morveuses)

- Je vous comprends bien mais il ne faut pas s’alarmer, elles ne pensent certainement pas à mal, elles ont été bien élevées par de braves parents...affirme, conciliant, Louhisse-le-père

(Les trois greluches opinent vigoureusement du bonnet)



  • Ta, ta, ta, monsieur Bas, on voit bien que vous avez la chance de n’avoir que des garçons ! Avec les filles, un accident est vite arrivé ! Bien entendu, nos filles prétendent que les contacts qu’elles ont avec les soldats sont anodins, purement amicaux et ne portent pas à conséquence. Nous, on aimerait le croire
(Concert de manifestations de bonne foi des trois greluches)

- Venons-en à l’essentiel : nos filles disent que Daniel est toujours présent à leurs conversations, qu’il en assure la traduction, qu’il peut témoigner de leur sérieux. Alors, mon petit Daniel, toi qui es un enfant du quartier, toi qui as grandi comme un frère auprès d’elles, dis-nous un peu ce que tu penses de tout cela… »

(Attente anxieuse et silencieuse des trois greluches…)

Bouboune se concentre, redresse sa petite taille, gonfle les pectoraux, prend une profonde inspiration et, conscient de l’importance de son rôle, tient à peu près ce langage :

« Mesdames, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles…J’assiste à toutes les rencontres. Je suis là pour traduire. Je peux vous dire qu’il ne s’agit que d’amitié fraternelle avec nos libérateurs. Vos filles sont en sécurité, je ne les quitte pas d’une semelle. Vous n’avez rien à craindre, il ne leur arrivera rien. Faites-moi confiance ! »

(Regards pâmés et reconnaissants des greluches et des mères. Regard attendri et admiratif de Louhisse-le-père sur sa progéniture)




(Saint Bouboune, protecteur de la veuve et des orphelines, le blouson replet, prêt à offrir ses entrailles, tel le pélican, pour nourrir les siens. Dessin de Pascale Bas)

Bouboune avait frappé un grand coup ! Muse, je sens que tu en frétilles d’aise ! Voilà qui mérite pour conclure au moins quelques alexandrins :


L’auréole de Bouboune


Muse, entonne avec moi cette chanson de geste

Qui célèbre Bouboune, relève-la d’un zeste,

Saupoudre ton piment sur l’histoire édifiante

Qui guidera longtemps les vertus vacillantes.



Des langues il a le don, le voici traducteur

Il prend les confessions de nos libérateurs,

Entend leurs doux aveux aux vierges chancelantes,

Prêtes au sacrifice de leur vertu branlante.



Janine-la-Joconde et Babette-la-Ronde,

Yveline-la-blonde et Marie-la-Gironde

Veulent étancher leur soif et en font un peu trop.

Bouboune veille et dit : Satan, vade retro !



Aux mères éplorées, aux pères courroucés,

Il jure ses grands dieux qu’il ne s’est rien passé.

Quoiqu’il se produisît, en admettant qu’elles pussent,

Fallait qu’il traduisît, donc que les mères le sussent.



Muse, chante avec moi les actes vertueux,

L’âme chevaleresque et le cœur généreux

De Bouboune-le-Preux au geste magnanime

Qui d’une ardente foi ces cœurs troublés anime !



Car il faut patienter, dans toutes ces affaires,

Semer la vraie parole, laisser l’effet se faire.

Bouboune, de ces âmes devint le point d’ancrage

Des cœurs en perdition, la bitte d’amarrage.



Il aimanta si bien les filles naufragées

Qu’il en fit un bouquet à la Vierge dédié.

Moules sur un rocher, elles freinent leurs émois,

Font de belles familles, saines, de bon aloi.



Elevons nos prières, que Bouboune-le-Preux

Devienne, grâce à Dieu, Daniel-le-Bienheureux

Car tant d’ardeur vaut bien qu’il en soit fait mention

A Rome avec pour but : béatification !










La tour de Babel: mieux vaut en rire (suite N°6) Le Néerlandais et moi

La tour de Babel: mieux vaut en rire (suite N°6)

Le néerlandais et moi



La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien


Préambule

Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe, le Polonais, l'Arabe et l'Hébreu, je poursuis par le Néerlandais .

Vous l’avez bien noté : je ne dis pas le hollandais, un mot pourtant bien plus facile à prononcer que néerlandais. Je ne dis pas la Hollande (Hollande du nord et Hollande du sud ne sont que deux des onze provinces des Pays-Bas) et vu le nom que je porte, j’y tiens à mes Pays-Bas… De même, je ne parlerai pas du flamand qui est tout simplement du néerlandais du sud, même s’il y a des nuances avec celui qui est parlé plus au nord.

Alors, qu’est-ce que j’ai eu à voir avec le néerlandais ? S’agit il encore d’une question de religion comme pour l’arabe et l’hébreu? Non, encore que… Nombre de mes ancêtres huguenots sont allés se réfugier là-haut (je ne dis pas là-bas ou aux Pays-Bas pour éviter la répétition des bas…) et, naguère gros fumeur de cigares, je me suis toujours demandé si la marque Elisabeth Bas n’avait pas été fondée par une lointaine ancêtre exilée… Regardez bien : vous ne trouvez pas qu’il y a comme un petit air de famille ?


Non, la religion n’a pas été à la base de mon apprentissage du néerlandais. Mon premier contact avec cette langue, c’est encore une fois la guerre qui, hélas, m’en a donné l’occasion. 10 Mai 1940, j’ai 7 ans et demi : les Panzer se déversent sur la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, puis la France. Les réfugiés affluent : je revois grand’mère aller et venir dans la cour d’Isneauville avec une grande poêle à la main et servir des omelettes à ces pauvres gens. Bientôt, ce sera notre tour de partir pour l’exode.

Les rumeurs, les « bobards » vont bon train. On voit des espions partout : c’est la « cinquième colonne » qui donne des cauchemars. Des affiches nous mettent en garde et créent une psychose paranoïaque : « Taisez-vous. Les murs ont des oreilles » ou « Les oreilles ennemies vous écoutent ».
J’ai une oreille qui traîne et j’entends les adultes parler à voix basse et grave d’une tragique erreur : non loin d’ici, un couple de civils à l’accent indéfinissable a été arrêté sur dénonciation. Après un interrogatoire expéditif et musclé, ils ont été exécutés sans autre forme de procès comme espions ennemis par les autorités encouragées par le déchaînement d’une fureur populaire vindicative… C’est comme ça, c’est la guerre. Tout bien pesé, mais trop tard hélas, il s’agissait de hollandais qui avaient le tort de parler une langue inconnue en pays de Caux et ressemblant de trop près à l’allemand ! Grand-Père n’a pas perdu l’occasion de se montrer pédagogue une fois de plus: « Tu vois, mon petit-fils, ce que c’est de ne pas connaître les langues étrangères… ». « Il faudra un jour que je m’y mette », pense déjà le tout jeune Daniel…

Les Belges en débandade défilent dans la cour d’Isneauville, des Wallons, des Flamands, des civils, des militaires avec des pompons à leurs calots que le petit Daniel apprécie particulièrement (Les Belges disent : des « floches ») et ils portent des bottes ou des guêtres de cuir jaune.


Défilent aussi les omelettes de douze œufs de Grand’mère… Les Wallons disent que ça « leur goûte ». Ils vident des bouteilles et rapportent « les vidanges ». Ils demandent « une loque à reloqueter » pour essuyer la table. Ils remercient pour le « dîner de midi »…Premiers rudiments d’adaptation linguistique, l’exotisme est là tout près…

Grand-père glorifie la fraternité d’armes franco-belge, le « Roi-Soldat» Albert Ier et son cheval blanc, la bataille de l’Yser… Il entonne la « Brabançonne » et me l’enseigne. J’apprends des paroles qui ont été modifiées depuis, si bien que seuls les vieux Belges « sortant du tombeau après des siècles d’esclavage » peuvent aujourd’hui reprendre leur hymne avec moi et « lever leur main souveraine et fière » à notre santé. Depuis cette époque, je garde pour la Belgique l’amour que ma famille m’a transmis. J’aime tous les Belges, Flamands et Wallons. S’il reste un dernier Belge unitaire, je serai celui-là…

Le temps passe. Les aléas de ma carrière m’amènent à résider et travailler en Belgique en 1967/68. J’habite à Bruxelles, je travaille en plein pays flamand, à Tisselt près de Brendonck, à mi-chemin de Bruxelles et Antwerpen. Je suis en charge du marketing dans une entreprise de papier hygiénique. Tout se passe bien, sauf que mon pompiste flamand qui m’a parlé volontiers dans ma langue aussi longtemps que j’ai gardé mes numéros d’immatriculation noirs et blancs s’est refusé à me parler français à partir du moment où j’ai arboré mes nouvelles plaques rouges et blanches belges : que je parle français était toléré pour un Français, pas pour un Belge francophone…Mieux vaut savoir dire au moins quelques phrases, je vais m’y mettre de bonne grâce.

A part ça, tout baigne : on m’appelle du charmant diminutif de Danieleke. Je suis « fournisseur de la Cour », autre façon de désigner les « Oué-Cé » en Belgique. Je sers sans discrimination la fesse flamande et la fesse wallonne. J’étudie l’incontournable méthode Assimil. Il m’en reste deux phrases tenaces que je vous livre (avec des réserves sur l’orthographe):
Jan draagt een zwaar pack (Jean porte un lourd paquet)
Een groote roote boot (Un grand bateau rouge)

Si ma mémoire est bonne, ces deux phrases inlassablement répétées (au point qu’on en vint à m’appeler « Zwaar Pack », ce qui n’est pas très flatteur…) étaient censées nous apprendre deux particularités de la langue : les voyelles longues (écrites en double) et surtout la difficulté majeure de prononciation : le G. Il convient de grasseyer l’air fortement expiré en relevant lentement l’arrière de la langue contre le palais. Suis-je clair ? Non ? Alors, si vous n’avez pas d’enregistrements, une autre approche est la suivante, suivez moi bien : vous vous procurez une vieille De Dion Bouton ou, à défaut, une Panhard et Levassor.



(Deux outils précieux pour apprendre à grasseyer le Gr néerlandais. Ne sont pas fournis avec la méthode)

Vous tirez le starter, vous actionnez plusieurs fois le démarreur ou vous utilisez la manivelle. Après quinze minutes d’efforts, quand le moteur commence à « brouter », vous entendez le bruit enroué et bronchitique particulier au G néerlandais. Vous voyez que c’est très simple. A ce petit bagage, il faut ajouter au moins Dank U, Merci (prononcez le U à la française), que les Français s’appliquent à éructer en insistant lourdement, avec une délectation suspecte.

Vingt-cinq années se passent, je parcours le monde, je n’ai jamais plus l’occasion d’utiliser mon modeste bagage de néerlandais qui tombe dans l’oubli le plus complet. 1993 : je travaille dans la coopération luxembourgeoise au Niger. Le Grand-Duché n’y a pas de représentation diplomatique propre, c’est l’ambassade de Belgique qui en tient lieu. Ceci nous amène à fréquenter tous les Belges de Niamey : nous y comptons nos meilleurs amis, aussi bien parmi les Flamands que parmi les Wallons. La querelle linguistique m’agace, moi, le dernier Belge unitaire. Je vais le faire savoir : je vais prendre six mois de cours particuliers avec l’épouse du premier secrétaire de l’ambassade, professeur de néerlandais à l’université de Gent. Objectif : inciter mes amis belges à faire montre de bilinguisme, ce qu’ils savent parfaitement faire quand ils le veulent bien. Alors, ça a marché ?

A jouer contre vents et marées les Belges unitaires, je ne me suis pas fait que des amis… Certes, les Flamands ont apprécié mes efforts et l’ont clamé un peu trop bruyamment à leurs compatriotes francophones : « Prenez-en de la graine, un Français de France qui essaie de parler néerlandais, vous devriez bien en faire autant ! ». Certains Wallons m’en ont un peu voulu, mais d’autres ont admis qu’ils devraient faire davantage d’efforts et utiliser de bonne grâce le bagage acquis naguère à l’école et qu’ils avaient laissé rouiller par paresse, négligence, parfois mépris. J’en ai vu quelques-uns « s’y remettre ». Je pense que c’est une chance de naître biculturel et qu’on devrait s’en réjouir, s’en prévaloir au lieu de s’en autodétruire.



Alors, le néerlandais, ça ressemble à quoi ? Un peu à l’anglais, beaucoup à l’allemand. Quelques exemples montrent la fraternité des trois langues si on tient compte du fait que le L final devient OU en néerlandais et que le T devient souvent D:

français
anglais
allemand
néerlandais
or
Gold
Gold
goud
vieux
Old
alt
oud
froid
Cold
kalt
koud
sel
Salt
Salz
zout
tenir
To hold
halten
houden
épaule
shoulder
Schulter
schouder

Les mauvaises langues disent que c’est de l’allemand mal parlé. Pour qui connaît l’allemand, il est en effet facile de comprendre l’essentiel d’un texte néerlandais à condition d’en connaître les conventions orthographiques et les particularités phonétiques. Par exemple, le son allemand ei se transcrit ij en néerlandais. Le z néerlandais se prononce comme un s. Les voyelles longues sont transcrites par un doublement de la voyelle. Sur le plan grammatical, la parenté avec l’allemand est très étroite : verbes à particules séparables, inversion dans les propositions subordonnées. A noter que le néerlandais a laissé au français tout un vocabulaire maritime : matelot, bâbord, tribord, bac, affaler, etc.

Mes rudiments de néerlandais ont longtemps résisté à l’oubli car un autre objectif m’a stimulé jusqu’à la fin du siècle : j’ai fait fin 1997 une mission de coopération en Namibie, tout au nord, à Rundu, sur le fleuve Okavango, tout près de la frontière angolaise, là où le pays lance une longue antenne vers l’est, coincée entre Angola, Botswana et Zambie.


Je devais y former en gestion des femmes commerçantes peu ou pas alphabétisées sur le marché couvert de Rundu, récemment construit avec l’aide de la coopération luxembourgeoise et inauguré en même temps que mon séminaire par le Prince Guillaume, le plus jeune fils (aujourd’hui, le plus jeune frère) du Grand-Duc.

Alors, pourquoi le néerlandais en Namibie? Vu de loin, le choix linguistique y était délicat. Sans parler de l’ovambo qui est le dialecte local le plus répandu et que je me voyais mal apprendre, trois langues européennes pouvaient être choisies pour corser mon séminaire de quelques phrases mettant mon groupe bien à l’aise et emportant sa bienveillance et sa motivation à apprendre: l’allemand, l’anglais et le néerlandais. Dans cette ancienne colonie allemande jusqu’en 1918, l’Institut Goethe restait très actif et l’allemand faisait un bon score mais essentiellement dans l’élite. L’anglais n’était pas aussi vigoureux que l’allemand au moment de l’indépendance en 1989 mais avait été choisi comme langue officielle pour favoriser l’ouverture sur le monde et le développement économique.

La langue européenne la plus parlée en Namibie, aussi bien chez les blancs que chez les métis était l’afrikaans, langue des Boers sud-africains, calvinistes d’origine hollandaise ou française fuyant l’Europe et ses persécutions religieuses. A noter que c’est avec l’anglais la langue officielle en Afrique du sud. L’afrikaans est un néerlandais qui a évolué mais qui reste compréhensible par des néerlandophones en prêtant une certaine attention. J’avais donc particulièrement étudié le vocabulaire néerlandais de la gestion et même préparé des transparents rétroprojetables en néerlandais.

Peine perdue, j’ai dû faire une révision déchirante au dernier moment : dans mon groupe, quatre femmes comprenaient l’anglais, aucune l’afrikaans et douze…le portugais ! Il s’agissait de réfugiées angolaises fuyant la guerre civile interminable de leur pays. Les souffrances, la nécessité les avaient rendues particulièrement actives et volontaires. Pendant une semaine, j’ai fait un séminaire bilingue, sautant du portugais à l’anglais. C’était épuisant. Peu à peu le portugais l’a emporté : mes participantes lusophones m’adoraient mais les anglophones faisaient de plus en plus grise mine (même au fin fond de la brousse, les anglophones n’ont pas l’habitude d’être deuxième langue !). Le comble a été atteint lorsqu’une participante anglophone bien noire m’a dit : « Please, speak white ! »… J’ai rangé pour toujours mon néerlandais dans mes archives.

dimanche 4 septembre 2016

La tour de Babel: mieux vaut en rire! (suite N° 5) L'hébreu et moi

La tour de Babel: mieux vaut en rire! (suite N°5)


L'hébreu et moi


















La tour de Babel selon Brueghel l'Ancien






Préambule




Selon la Bible, peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes entreprennent de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu irrité par tant d'orgueil brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par «brouillés»). Sans vouloir contrarier cette décision divine, j'ai essayé de recoller les morceaux en flirtant (ou en «contant fleurette» si vous préférez) avec plusieurs langues. Ceci avec des succès divers et des échecs dont il vaut mieux rire. Après le Portugais, l'Allemand, le Russe, le Polonais et l'Arabe, je poursuis par l'Hébreu qui n'est pas sans liens avec le précédent.




L’hébreu et moi


Inutile d’insister sur l’expression courante «Pour moi, tout ça, c’est de l’hébreu…» qui semble placer cette langue parmi les plus impénétrables. Alors, que suis-je allé faire sur cette galère? Réponse: comme pour l’arabe, c’est encore à cause de la religion et du Livre, mais pas de la même religion et du même Livre…Et précisément aussi, à cause des galères… Je m’explique:


Du côté paternel, je porte 4 siècles de protestantisme sur les épaules, sans discontinuité. Une vingtaine de générations, une douzaine de pasteurs, le dernier en date, pasteur à Besançon, est mort dans les année trente. Le premier, à ma connaissance, Jean Bas, figure sur le mémorial du musée du Désert, dans les Cévennes: il est mort aux galères du roi pour avoir fait passer en Suisse des coreligionnaires. J’ai toujours été friand de généalogie et ce passé de résistance et de clandestinité m’obsède et me modèle depuis l’adolescence. J’ai opté pour le baptême protestant à 20 ans (mes parents m’avaient laissé le choix). Bien plus, l’idée d’être pasteur m’a effleuré, superficiellement mais longuement, à l’âge des choix professionnels.


Plus rien pendant plus de 40 ans, puis, à la veille de prendre ma retraite, en 1997, l’idée me chatouille à nouveau dans ma lointaine Afrique. Qu’est-ce que je vais faire de ma retraite? N’est-il pas temps de prendre de la hauteur et du recul ? La théologie sied bien à un jeune étudiant de 65 ans. «Qu’est-ce que tu dirais, Pascale, d’être femme de pasteur?». Bon, c’est pas l’enthousiasme, mais enfin, en dehors du dimanche, il y aurait des bons moments creux et puis des œuvres sociales à gérer… Ma vocation n’est pas vraiment très vigoureuse mais, par rapport à la première velléité, il y a quand même cette fois-ci un commencement d’exécution: je me procure les programmes et conditions d’entrée à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et à celle de Paris.


Je tombe sur un os: il y a un prérequis. Il faut avoir fait du latin, du grec et de l’hébreu! Qu’à cela ne tienne! Mon adjoint part en voyage en Europe, je lui demande de me trouver un livre d’hébreu, n’importe lequel, histoire de voir à quoi ça ressemble.







Il s’exécute gentiment et me rapporte la méthode Assimil «L’hébreu sans peine», en hébreu moderne ressuscité et rénové, bien entendu. Je pâlis: encore un alphabet à assimiler après l’arabe et le cyrillique! Je fais quelques leçons, puis j’abandonne aussi bien l’hébreu que ma fugitive vocation de pasteur… Exit la vocation pour toujours. Exit l’hébreu pour longtemps, mais pas sans espoir de retour…


2004: en vacances en Suisse dans une résidence d’artistes, nous faisons connaissance d’une jeune Israélienne qui sculpte avec talent. Son visa touche à sa fin, elle doit changer de pays, elle ne veut pas rentrer chez elle car elle refuse de servir dans l’armée. C’est une «Colombe» qui s’insurge contre les «Faucons» et aussi contre les vrais, d’ailleurs. Elle nous est très sympathique, elle viendra passer plus de trois mois chez nous, avec à la clé un stage de cire perdue dans l’atelier de Pascale. Elle est créative, elle décore les murs ou la table avec fantaisie. Elle est végétarienne et arrive à nous convaincre par moments grâce à ses recettes innovantes. Elle s’appelle Avivit, ce qui signifie en hébreu «le printemps», c’est tout dire.





(Avivit, « le printemps » en Hébreu. Photo Pascale Bas)


Avivit parle longuement de son pays. Elle nous apprend qu’Israël a deux langues officielles: l’hébreu et l’arabe et que 500 000 Arabes, soit 10% de la population, ont la nationalité israélienne. Elle compte de nombreux amis dans cette communauté. Elle est persuadée qu’il n’y a pas d’autre solution que de se mettre à table, de causer et de se comprendre. Ce ne devrait pas être si difficile car les deux peuples sortent du même tonneau : ce sont des Sémites. Parler d’un Arabe antisémite, c’est à peu près aussi idiot que de parler d’un Italien antilatin…Elle insiste sur ce qui rapproche les deux peuples plus que sur ce qui les oppose.


C’est le cas pour les langues : deux écritures alphabétiques qui s’écrivent de droite à gauche et ne comprennent que des consonnes, la voyellation n’étant généralement pas marquée. A l’exception du V et du P, toutes les lettres de l’hébreu ont leur correspondant en arabe. Particularités de l’hébreu : les lettres ne sont jamais liées, à la différence de l’arabe. Il existe, comme pour notre écriture, deux alphabets : l’un, appelé hébreu carré, correspond à nos lettres d’imprimerie, l’autre est utilisé pour l’écriture manuscrite. Il n’est pas difficile de reconnaître que salam (qui signifie « la paix » en arabe) est le même mot que son équivalent hébreu shalom. On le retrouve dans Jérusalem, « la ville de la paix ». On trouve un grand nombre de similitudes de ce type.


L’hébreu est une langue à maints égards exceptionnelle. On retiendra surtout sa longévité (les premiers textes de la Bible sont vieux de 3500 ans), son rayonnement spirituel (elle a profondément influencé les trois grandes religions monothéistes), son entrée en hibernation au Ier siècle de notre ère (avec la diaspora), sa résurrection comme langue parlée sous une forme enrichie dans le sens de la modernité avec la création de l’Etat d’Israël en 1948. L’hébreu a transmis au français quelques mots du domaine religieux : satan (diable), sabbat (samedi), amen (je crois), tohu-bohu (désert et vide, état de la terre au moment de la création, Genèse, chapitre 1er).


Avivit est rieuse, joueuse et pétillante, du moins en surface. Elle a 21 ans, c’est pour nos fils une grande sœur qui les aide à prendre leur envol et à gagner en autonomie. Une grande affection les lie tous les trois.


(Jérôme, 16 ans, Avivit, 21 printemps, Samuel, 12 ans. Photo Pascale Bas)





(Avivit, 21 printemps et Samuel, 12, en 2004. Photo Pascale Bas)


Nous nous faisons un plaisir d’apprendre du vocabulaire courant avec elle: ken, oui ; lo, non ; léhitraot, au revoir ; boker tov, bonjour ;erev tov, bonsoir ;chalom, salut ; ma chlomkha ? comment vas-tu ? (As-tu la paix ?) ;Béssèder, toda : bien, merci ; toda raba, merci beaucoup ; heï, bahoura : hé, jeune fille !


Avivit nous quitte pour retourner en Suisse fin 2004. Les nouvelles se font rares en 2005 : des amis nous disent qu’elle serait en proie à une profonde dépression. Elle aurait en projet des voyages en Tunisie et au Niger. En janvier 2006, un dernier e-mail souhaite la bonne année « à la plus belle famille française sur cette planète »…Nous répondons avec une insistance affectueuse : où es-tu, que deviens-tu, où et comment pouvons-nous nous rencontrer ? Pas de réponse. Puis le rideau tombe : Avivit est rentrée in extremis en Israël pour y connaître une fin tragique. Nous sommes tous très perturbés, surtout les enfants dont c’est le premier contact avec la mort d’un être cher.


Et puis, comment « faire notre deuil » ? Nous n’avons aucune adresse, ne connaissons personne de la famille, nous ne pouvons parler d’elle avec personne. Alors, nous organisons des cérémonies rituelles autour d’une Avivit que nous voulons maintenir vivante. Nous plantons des arbres : lilas blanc, rosier blanc, framboisier. Le lilas blanc est très beau aujourd’hui. Et nous ouvrons un beau carnet, un livre d’or où chacun de nous fera son apport : dessins, poèmes, etc. Je suis le seul à ne pas savoir dessiner. Alors, en hommage à un printemps si intense et si court, je me replonge dans mon livre pour apprendre à écrire quelques mots en hébreu…


Voici le maigre résultat d’un long apprentissage qui devait au départ me faire monter en chaire pour le culte dominical. Amen.







Et pour la « Colombe » Avivit, un salut fraternel, un message de paix dans un grand nombre de langues. En bas, à droite, la paix en arabe (salam) et la paix en hébreu (shalom) semblent faire bon ménage…Ce n’est qu’un début, espérons-le.







(Contributions de Daniel au carnet de deuil. Une précision probablement utile : après le Polonais, c’est du Finnois, puis de l’Haussa et du Djerma, langues du Niger)